Maintenant, les Ardais.
Les pouvoirs se prêtent à bien des usages,
y compris d’ordre privé.

5. LE HALL GLACÉ

d’Aly Parsons

 

 

Fredrik Ardais inspecta le Grand Hall avec humeur, se disant que, pour une Fête, la nuit paraissait bien longue. Les adultes s’étaient retirés depuis longtemps avec les enfants, laissant les jeunes s’amuser sans importuns chaperons. C’était peut-être la faute des musiciens, se dit-il. Il y avait eu surabondance de rondes, alors que les danses par couples avaient été trop rares.

Voyant Colryn regarder autour de lui, Fredrik s’approcha vivement de son seigneur et cousin. Colryn Ardais eut un sourire moqueur.

– Pourquoi rester près de moi pendant une Fête dans notre propre Hall ? La Garde de la Cité ne t’a pas appris les mondanités ? Je croyais que tu avais invite une lointaine cousine pour t’occuper.

– Et toi, rétorqua Fredrik, tu devrais être retiré avec ta femme à cette heure.

– Ah, je ne suis pas encore fatigué, répondit distraitement Colryn, qui haussa un sourcil en percevant la pensée non gardée de Fredrik : Mais elle, elle est presque épuisée.

Colryn regarda une Lira haletante quitter la ronde des femmes et se laisser lourdement tomber sur un banc capitonné.

Fredrik avait été favorablement impressionné par Lira quand elle l’avait accueilli au Château Ardais l’avant-veille, mais maintenant, en léger contact télépathique avec Colryn, ce jugement fut tempéré par les perceptions de son cousin.

Lira était vulgairement avachie contre le mur. Ses cheveux auburn s’échappaient de ses barrettes serties de gemmes vertes, collées dans son cou en mèches désordonnées. Sa robe vert foncé était décolletée à l’extrême, et la fine chaîne qui disparaissait dans son corsage en accentuait l’audace qui frisait l’indécence.

Haussant les épaules d’un air impatienté, Colryn se détourna. Fredrik plissa le front. Barricadant soigneusement ses pensées, il se dit : Malgré la mauvaise santé de son père, Colryn ne semble pas se soucier de faire son devoir et de se donner un héritier. Son mariage doit être aussi morne que cette réception.

Restant sur la gauche et un pas en arrière de Colryn, Fredrik se força à se détendre. La pulsation de sa pierre-étoile contre sa poitrine s’atténua enfin, mais elle avait trop interféré dans ses pensées, ce soir.

Fredrik et Colryn arrivèrent à la table du buffet juste pour voir quelqu’un retourner un bol à punch sur la tête d’un invite. Colryn saisit le bras de la victime qui bredouillait de surprise et de rage et voulait se jeter sur l’offenseur. Fredrik tira le coupable hors de sa portée en disant :

– Auster, pourquoi as-tu fait ça ?

L’homme inondé de vin grommela :

– Fils de catin aux six pères. Honore tes géniteurs, ne les renie pas. C’est tout ce que j’ai dit.

– Parle bas de la sœur de mon père dans cette maison, mon cousin, dit Colryn, doucement réprobateur.

L’homme secoua la tête, confus.

– Je ne parle jamais mal des dames – je parlais juste de ce fils de traînée.

Auster étouffa un bâillement, puis dit avec désinvolture :

– Voilà assez longtemps qu’il parlait comme ça – j’ai trouvé bon que son habit soit aussi ramolli que sa cervelle.

– Sale fils aux six pères…, marmonna l’homme comme Auster s’éloignait vers un plat de gâteaux au miel.

Auster rejeta la tête en arrière, ébouriffant ses longs cheveux flamboyants.

Colryn fit signe à un garde, et lui ordonna poliment de conduire la victime dans une chambre d’hôte et de veiller à son bien-être, évitant diplomatiquement d’expulser un invité un soir de Fête. Il essora le vin tombé sur ses manches, puis, avec Fredrik, regarda Auster qui faisait le tour des plats.

– Cet usage du vin comme arme témoigne d’une modération considérable. Et il accepte assez bien les quolibets.

Auster, à une demi-table d’eux, se retourna en avalant une dernière bouchée de gâteau aux noix. Il avança le menton, les yeux brillants.

– Des quolibets de faquin ne sont pas difficiles à ignorer. Surtout quand il n’y a pas le choix ! lança-t-il avec amertume à Colryn.

Puis il adressa un sourire suave à Fredrik, s’inclina courtoisement devant les deux hommes comme pour prendre congé, et passa au buffet suivant.

Fredrik frissonna.

– Il n’a pas encore accepté le rejet de sa requête d’aller à Nevarsin.

Colryn prit un gâteau au miel qu’Auster n’avait pas vu.

– Mon père trouve que son travail ici est plus important qu’un séjour au monastère pour échapper au scandale de la conduite de sa mère. Après sa dernière bagarre, Père lui a ordonné de se conduire avec dignité et de cesser de faire taire les mauvaises langues avec ses poings, gloussa Colryn. Quand Père sera au courant de ce bain de vin, je gage qu’il s’amusera de la façon qu’a trouvée Auster de défendre sa dignité aux dépens d’un ivrogne – qui n’avait guère de dignité à perdre de toute façon !

Voyant Auster s’emparer d’un quartier de fromage qu’il posa sur une grosse tranche de pain aux noix, Colryn ajouta :

– Père l’aurait peut-être expédié à Nevarsin s’il avait su que ce garçon mangerait tous les jours son poids en nourriture !

Fredrik vit que Camilla, la breda d’enfance de Lira, l’avait rejointe, et qu’elles plaisantaient ensemble, têtes rapprochées, épaules secouées de rire. Fredrik, les yeux fixes sur la beauté brune assise près de Lira, regarda Colryn en penchant la tête et proposa :

– Et si nous demandions un air entraînant aux musiciens et que nous nous trouvions une partenaire ?

– Suis-je encore présentable ? demanda Colryn avec une curieuse inquiétude.

Etonné, Fredrik inspecta son cousin de la tête aux pieds, et répondit sans rire :

– Si j’étais ta dame, je valserais avec toi jusqu’à la plus proche galerie sombre.

Une légère rougeur colora les joues de Colryn.

– Danse dans ta galerie, je danserai dans la mienne.

S’approchant du paravent des musiciens, il tapa un rythme connu. Fredrik regarda la scène d’un air désapprobateur. A tous les grands bals de Thendara, il était de bon ton de cacher les meilleurs musiciens des Sept Domaines derrière un paravent ; ici, dans les Heller, il trouvait que c’était affecté et injurieux de cacher les talents locaux – de plus, il aimait bien regarder les musiciens jouer.

Colryn se mit en devoir de traverser la salle, zigzaguant comme un homme ivre pour éviter les danseurs, tandis que Fredrik dansotait moqueusement derrière lui, conduisant une partenaire invisible. Au milieu de la piste de danse, il surprit Camilla à le regarder, riant de sa pantomime. Fredrik espéra alors que son ennui était terminé et sa soirée sauvée. Il tournoya plusieurs fois avec sa cavalière imaginaire, ses yeux et son sourire audacieusement braqués sur Camilla. Puis il se hâta de rejoindre Colryn, revenant à son niveau juste comme il s’arrêtait devant les deux jeunes femmes.

Soudain, Fredrik ravala son air et pivota sur lui-même, en posture de combat, la main sur la poignée de sa dague. La peau parcourue de picotements, il scruta la foule indifférente des danseurs, cherchant la source de l’attaque qu’il venait de subir – à moins, se dit-il, qu’une attaque ne fût imminente ?

Alerté par sa réaction, Colryn se retourna une fraction de seconde après lui. Les yeux étrécis, Colryn inspecta les danseurs.

– Qu’est-ce qu’il y a, mon cousin ?

Fredrik, sa sensibilité exacerbée, perçut la dérision amusée de Camilla et l’impatience de Lira. Il savait que sa tension et sa confusion devaient être évidentes pour Colryn, pourtant, tout semblait normal. Mal à l’aise, et pourtant embarrassé, Fredrik rengaina sa dague et ne se retourna qu’à moitié vers les femmes, trop inquiet pour tourner le dos à un danger possible.

Lira fronça le nez et demanda :

– Tu as bu toute la soirée, Colryn, pour empester le vin à ce point ?

Couvrant les protestations de Colryn, Camilla remarqua d’un ton moqueur :

– Dans ce cas, il avait un compagnon non loin. Du genre qui aime les femmes invisibles et les poignarde si elles approchent trop près ! Ou bien tu as lancé un sort sur les femmes pour qu’elles fassent tes volontés et tu es obligé de les tenir à l’écart au couteau parce que tu as oublié d’annuler l’enchantement !

Le ton empira la déconfiture de Fredrik et plusieurs ripostes lui traversèrent l’esprit. Mais ni la gaillardise, ni la dignité offensée, ni les explications ne lui semblèrent convenir, alors il se contenta de sourire. Colryn, qui avait reçu certaines de ces pensées, se mit à glousser.

Lira les considéra à tout de rôle, les yeux embués de larmes de colère. Camilla la regarda vivement, puis elle se leva, lui prit la main, et la força à se mettre debout. Portant son regard au-delà de Fredrik, elle lui dit :

– Viens, ma chérie. Nous avons ignoré tes invités trop longtemps.

Fredrik ne s’opposa pas à leur passage. Il ne savait pas s’il avait imaginé ou entendu la pensée qu’échangèrent les deux femmes : Quittons ces deux goujats.

Colryn se laissa tomber à la place laissée vide par sa femme, et posa son menton dans sa main. Levant des yeux suppliants sur Fredrik, il lui demanda :

– Qu’est-ce que nous avons fait ?

Fredrik perçut nettement son angoisse. Mariés depuis six moisnous nous sommes plu les quelques fois que nous nous sommes rencontrés avant le mariage, mais depuis, nous sommes des étrangers. Même le désir de vivre ensemble est étouffé par nos querelles

La détresse de son ami lui fit mal, mais Fredrik était trop tendu et agité pour s’asseoir.

– Colryn…, temporisa-t-il.

Les problèmes de Colryn l’inquiétaient, mais il ne pouvait pas en parler maintenant. Il pivota brusquement et se remit à scruter la salle.

Colryn lui toucha l’épaule, et il sursauta. Puis, prenant brusquement Colryn par le bras, il le pilota à travers la salle jusqu’à une petite alcôve, s’adossa au mur du fond et poussa un soupir de soulagement. Colryn le regarda, étonné.

– Qu’est-ce qu’il y a, bredu ?

Fredrik secoua la tête.

– J’ai eu l’impression que le Pacte était violé, et que des archers se cachaient sur les balcons – tous pointant leurs flèches sur toi – sur nous ! Bien sûr, je sais qu’il n’y a pas ici de ces armes de lâches, mais quelque chose…

Désemparé, il constata que sa main gauche tirait sur le cordon entourant son cou, pour sortir de sa chemise le sachet de cuir contenant sa matrice. Il se tourna face à la salle, pris de panique. Puis ses émotions s’évanouirent, et il se sentit dans la peau d’un spectateur, regardant calmement par-dessus l’épaule d’un étranger qui en déliait – avec mes propres mains – le cordon et écartait la soie protectrice. Renversant le sachet, il fit tomber le cristal dans sa paume. Il fixa les profondeurs de la pierre, dont les lumières puisaient en accord avec ses rythmes intérieurs. Il se fondit dans l’étranger, sentant son calme se répandre dans tout son corps.

Sa conscience se dilata jusqu’à englober tous les assistants. Il savait que Colryn l’observait avec quelque curiosité, mais ses pensées se fixèrent sur Lira. Parmi ceux qui avaient trop bu, quelques bagarres commençaient sans enthousiasme. Ailleurs, des différends mineurs se voilaient de politesse glaciale. Une activité appliquée, insolite à cette heure, venait des cuisinières et des filles de cuisine. Malgré l’énergie dépensée à la danse, une bizarre léthargie semblait affecter tout le monde.

Une onde d’hostilité s’enfla, et il se tourna vers sa source. Trois hommes vêtus aux couleurs d’Ardais – gris et écarlate – se dirigeaient vers lui. Il réalisa qu’à la lumière bleue de sa matrice il était clairement visible malgré la pénombre de l’alcôve. La peur et les soupçons des gardes le martelèrent comme des coups de poing, et il remit vivement la matrice dans son sachet, puis sous sa chemise.

– Que fais-tu là ? demanda durement le chef des gardes. Quels tours de sorcier pratiques-tu sur les hôtes du Seigneur Ardais ?

Sentant Colryn à son côté, Fredrik ignora les gardes tout en cherchant à préciser ses impressions. Il avait perçu quelque chose de bizarre…

Colryn parla avec autorité, distrayant l’attention des gardes de Fredrik et l’attirant sur lui.

– Dom Fredrik est mon hôte – et il recherche un ennemi d’Ardais.

– Vai dom ! Je ne t’avais pas vu. Si tu veux rester seul…

Les gardes semblaient prêts à se retirer, mais Colryn les arrêta d’un geste.

– Qu’as-tu découvert ? demanda-t-il à Fredrik.

Ne sachant comment répondre, Fredrik se sentit rougir.

– Je… n’ai pas détecté de menace, dit-il lentement. Mais pourtant…

Il toucha d’un doigt la main de Colryn pour faciliter la communication. Il y a quelque chose d’anormal. Je le sais. Mais je connais peu le travail des matrices. Peut-être que si tu essayais

Colryn fronça les sourcils et rompit le contact.

– Il n’y a pas de danger imminent, dit-il tout haut. Mon cousin a perçu un danger, mais il se trouve dans l’avenir – ou peut-être que tu as vu la bataille du Solstice d’Hiver à l’époque de mon grand-père, où des bandits s’étaient déguises en invités ? Par précaution, Eduin et Hjalmar, faites le tour des gardes de service pour vous assurer qu’ils sont vigilants – mais ne donnez pas l’alarme. Radan, reste avec nous pour inspecter la salle.

Les deux gardes s’éloignèrent ; Fredrik vit Eduin branler du chef et l’entendit grommeler :

– Passé, présent, futur – qui s’en soucie ? Les ennuis arrivent quand ils arrivent. Pourquoi faire chauffer la marmite quand le piège est encore vide ?

Fredrik se mordit les lèvres, et se mit à scruter avec attention les nombreux recoins, entrées et balcons. Radan resta en arrière, et suivit les deux jeunes nobles qui avançaient en longeant le mur. Après avoir embrassé la salle du regard, Colryn regarda Fredrik et lui dit à voix basse :

– Quand nous étions ensemble à Thendara, je ne t’ai jamais vu utiliser ta matrice.

– Je n’ai jamais ressenti le besoin de m’en servir jusqu’à ce soir, dit Fredrik d’une voix tendue. Pourquoi ne veux-tu pas sonder la salle avec la tienne ?

– J’ai reçu ce que tu as senti – qui m’a paru assez normal. Tu ne savais pas que j’« écoutais » ?

– Tu paraissais si distrait.

Fredrik réalisa que, comme il avait entendu les pensées de Colryn sur Lira, Colryn avait dû partager les impressions qu’il recevait.

– Je croyais que tu avais trouvé quelque chose quand j’ai appelé les gardes, insista Colryn. Si ce n’est pas le cas, pourquoi es-tu encore si trouble ?

Fredrik éleva une barrière mentale pour dissimuler sa peur et sa honte croissantes, et répondit à contrecœur :

– Je ne sais pas. C’est peut-être, la matrice elle-même qui me cause ce malaise.

Colryn s’arrêta à l’entrée d’une longue galerie et se tourna face à lui.

– Tu étais mal à l’aise avant de tirer ta matrice, lui rappela-t-il.

Fredrik, les yeux fixés sur le sol, murmura, en une imitation inconsciente du garde :

– Passé, présent, futur – la matrice brouille le temps et l’espace.

Ses craintes familières firent perler la sueur à son front. Il aurait voulu échapper au regard scrutateur de Colryn.

Colryn lui toucha le bras et dit avec douceur :

– C’est un outil utile, comme on a dû te l’apprendre à la Tour.

Fredrik se raidit.

– Je ne me rappelle pas grand-chose du temps que j’y ai passé, dit-il, évasif. Entre mes crises de la maladie du seuil, je jouai avec la matrice… j’ai appris à contrôler et à barricader mes pensées. Mais mes parents m’en ont retiré dès que j’ai été hors de danger. Après avoir perdu deux filles et un fils au début de leur adolescence, ils m’ont gardé près d’eux.

Il haussa les épaules.

– Mais maintenant que mon petit frère a passé victorieusement la maladie au seuil, j’ai pu risquer de venir ici malgré les neiges du Solstice d’Hiver.

– Le risque n’était pas grand, étant donné l’expérience de ton escorte ! railla Colryn. Ricard et Gwynn pourraient traverser un glacier sous le bec d’un banshee. Et l’Amazone qui vous servait de guide – elle doit être aussi vieille que la montagne !

Les lèvres de Fredrik frémirent à ces railleries, et il fit mine de continuer leur ronde. Mais Colryn le retint par le bras.

Colryn dit, toujours avec douceur, mais aussi avec une nuance d’irritation :

– Bredu, je sais que la maladie du seuil a ravagé ta famille. Mais qu’est-ce que cela a à voir avec ce qui te trouble en ce moment ?

Fredrik se dégagea, incapable de soutenir le regard de Colryn ou le contact de sa main.

Si ses barrières mentales cédaient, sa détresse affecterait tous les télépathes du château. Colryn attendait avec une patience inexorable. Fredrik reprit la parole d’une voix saccadée.

– A la Tour, j’entendais tout le temps leurs voix… Tous pensaient que je ne survivrais pas – ou qu’au mieux, je vivrais quelque temps, comme ma sœur, ayant perdu l’esprit. Comment savoir si j’ai survécu indemne ?

Il commençait à élever la voix. Il déglutit avec effort et reprit en un murmure :

– Cette fois, je n’ai pas pu m’empêcher d’utiliser ma matrice. Et si mes pensées, et le laran qui les amplifie, étaient, d’une certaine façon, dénaturés ?

Levant enfin les yeux sur Colryn, Fredrik s’étonna de n’y voir que de l’impassibilité au lieu de la compassion qu’il attendait.

– Tu as séjourné à la Tour il y a cinq ans. Suis-je le premier à qui tu te confies ? dit Colryn, d’un ton incrédule, et Fredrik, piqué au vif, ne put que hocher la tête.

Sans l’entendre, Fredrik savait que Colryn allait dire imbécile.

– Une Gardienne, ou mieux encore, un bon moniteur, aurait pu dissiper tes craintes n’importe quand – et tu aurais pu utiliser ton laran sans complexes ces dernières années.

Sa pensée s’insinua dans les défenses affaiblies de Fredrik, gentiment moqueuse. J’ai touché ton esprit, et tu n’es pas un monstre. Fredrik sentit ses craintes se dissiper sous la réprobation de Colryn. Le silence s’installa entre eux, et Colryn dit à voix basse :

– Je voudrais que mes problèmes soient aussi faciles à résoudre.

Il se retourna vers la salle, et, suivant son regard, Fredrik vit Lira debout au milieu d’un cercle de danseurs, les yeux fixés sur Colryn. La solitude et le malheur se lisaient sur leurs deux visages. Aucun ne fit un pas vers l’autre.

– Va vers elle, le pressa Fredrik.

Colryn leva la main comme pour la tendre vers sa femme, mais la laissa retomber mollement à son côté. Il retourna dans la galerie. Une pensée, que perçut nettement Fredrik, résonnait en lui : c’est inutile. Comme s’il avait étroitement resserré un manteau de fourrure autour de lui, Colryn raffermit ses barrières mentales, verrouillant en lui ses pensées et ses émotions.

Au niveau de Fredrik, le garde suivit Colryn.

Impulsivement, Fredrik lui demanda :

– Que sais-tu des problèmes entre Dom Colryn et sa dame ?

Radan répondit sans hésitation. Il avait gardé Colryn et Fredrik dans leur enfance, quand ils étaient des compagnons inséparables.

– Seulement ce que tous les gardes ont vu et entendu. Ils sont très cérémonieux l’un envers l’autre, et parfois à peine polis. On entend souvent l’un critiquer l’autre, et pourtant, ils semblent soupirer l’un après l’autre. C’est très étrange.

– En effet, murmura Fredrik.

Il ne pouvait rien faire de plus que se préparer à écouter les problèmes de Colryn quand il voudrait en discuter. Colryn avait voulu lui parler, mais… Fredrik ralentit le pas, s’efforçant de préciser l’impression de danger qu’il avait perçue tout à l’heure. Un grand froid intérieur pénétra sa rêverie, le forçant à s’arrêter et à scruter ce qui l’entourait.

Après la chaleur, la lumière et le bruit du Grand Hall, la galerie était froide, sombre et silencieuse. Des sections isolées étaient éclairées par la lueur romantique de flammes brillant à travers des vitraux. Colryn traversa une aire de lumière, qui fit scintiller ses cheveux et ses ornements, puis il fut avalé par l’ombre régnant au-delà. Radan le suivit, tournant la tête de droite et de gauche. Le bruit de leurs bottes claquant sur les dalles changea subtilement. Fredrik avança, tous les sens en alerte. Il remarqua que le mur près de la torchère était orné d’une fresque. Le mur opposé disparaissait sous une arche encadrant deux personnages aux couleurs passées, plus grands que nature. Hastur et Cassilda, remarqua-t-il machinalement. Dans le renfoncement, la forme courbe d’un divan accrochait la lumière. Il détourna vivement le regard, mais en passant, il vit que le renfoncement était vide. Fredrik pressa le pas pour rattraper Colryn et le garde.

Pendant leurs rapides recherches dans les galeries entourant le Hall, ils trouvèrent deux femmes endormies dans des fauteuils, une cruche de vin entre elles. A l’entrée d’une autre galerie, ils trouvèrent un jeune homme esseulé dont la joue portait la marque rouge d’une gifle. A part ça…

– Les galeries sont désertes ! dit Fredrik, énonçant l’évidence.

Il réalisa ce qui l’avait perturbé tout à l’heure, quand il utilisait sa matrice. Inconsciemment, il s’était préparé à contacter et ignorer les dérèglements licencieux courants lors d’une Fête. Mais l’exubérance s’était limitée à la joie de retrouver de vieux amis ; même les flirts avaient été rares. Comprenant maintenant l’« étincelle » qui avait manqué à la soirée, Fredrik échangea un regard perplexe avec son cousin qui répondit mentalement avec ironie que ses problèmes étaient peut-être contagieux.

Regardant distraitement autour de lui, Fredrik vit Auster chiper un plateau de sucreries à une servante et, le tenant en équilibre sur une main, le dévaliser de l’autre. Colryn le repéra juste comme la musique s’arrêtait, et explosa, irrité :

– Par les enfers de Zandru, ce garçon s’empiffre comme une Gardienne !

Auster se figea, et le plateau tomba. Les plats en cristal se brisèrent et les sucreries s’écrasèrent. Auster battit des paupières, baissa les yeux, puis se mit à quatre pattes pour réparer les dégâts.

Colryn se détourna, émettant un bruit écœuré, mais Fredrik rejoignit Auster, et baissa les yeux sur ses mains qui tremblaient en ramassant les pâtisseries et les éclats de verre.

– Tu es nerveux, mon cousin, lui dit Fredrik à voix basse.

Il s’accroupit, apparemment pour l’aider, mais en fait pour regarder le visage du jeune homme.

– Laisse-moi tranquille, mon cousin, dit Auster, prononçant ce dernier mot comme une injure.

Un joli pied gainé de cuir vert poussa délicatement un gâteau sur le tas de verre et de confiseries. Lira, resserrant sa jupe autour d’elle pour ne pas la tacher, s’enquit :

– Pourquoi es-tu si dur, Auster ? Il veut seulement t’aider. Laisse ça maintenant… Les servantes arrivent avec des balais.

Fredrik se releva, et tendit une serviette à Auster.

– Je venais juste pour t’arracher Colryn et te souhaiter une bonne nuit, dit Lira d’un ton léger. La danse semble avoir épuisé nos hôtes, mais si Colryn et moi n’allons pas nous coucher, nous risquons d’être là jusqu’au matin.

Colryn avait continué à marcher, mais il revint sur ses pas à la voix de Lira, comme attiré par un aimant. Fredrik les regarda se sourire avec hésitation, et se demanda s’ils étaient maintenant trop fatigués pour se chamailler. Ils faisaient un beau couple, Colryn, avec sa dignité seigneuriale teintée de timidité, et Lira joliment ébouriffée et détendue de lassitude.

Fredrik perçut la joie de Colryn quand Lira se laissa enlacer par les épaules et lui toucha tendrement la joue tandis qu’il la serrait contre lui. La main de Colryn se glissa sous une boucle auburn sur la nuque, et Fredrik détourna les yeux devant l’intimité de cette caresse, s’efforçant de rompre le contact avec son cousin.

Auster considérait le couple avec un mépris suffisant que Fredrik ne comprenait pas. Auster passa un pouce sous les lacets de sa tunique, et glissa les doigts sous le col ouvert de sa chemise. Fredrik reporta son regard sur le couple, et l’atmosphère changea. Il sentit des picotements sur sa peau et tous ses sens furent en alerte.

La façon dont Colryn voyait Lira envahit Fredrik. Son parfum concurrençait maintenant les odeurs d’épices qui emplissaient l’air ; son maquillage était trop appuyé ; ses cheveux étaient en désordre ; sa nuque était moite de sueur…

Lira poussa un cri étouffé et repoussa le bras de Colryn. Elle recula de deux pas et s’immobilisa, très raide, le visage empourpré.

– Comment oses-tu me traiter ainsi en public ? N’as-tu aucun sens de la décence ?

Ses mots se réverbérèrent à l’intérieur de Fredrik, vibrèrent entre l’esprit de Colryn et le sien. La colère de Colryn explosa, et sans bouger, il sembla écraser sa femme de toute sa hauteur.

– Catin ! rétorqua-t-il. As-tu appris les bonnes manières à la Guilde des Amazones, pour exciter un homme et puis le repousser ? Non ! Même les Amazones Libres ont plus de bienséance !

D’abord muette d’indignation, elle regarda autour d’elle avec hésitation, portant les mains à son décolleté comme pour se couvrir.

La rage irrationnelle de Colryn martelait l’esprit de Fredrik, et il se prit la tête à deux mains. Même la détresse de Lira lui était perceptible, et augmentait à mesure que la réceptivité de Fredrik croissait.

– Assez ! dit Fredrik, les dents serrées. Arrêtez tous les deux !

Le contact avec Colryn semblait l’avoir dépouillé de ses défenses, et il les recevait maintenant l’un et l’autre. Il pivota vers Auster, s’aperçut qu’il avait disparut, ce qui, curieusement, accrut sa souffrance. Surimposé à la vision de la salle, il revit le visage méprisant du jeune homme ; il savait qu’il ne pouvait pas stopper la tempête émotionnelle du jeune couple, mais il pouvait faire disparaître ce rictus suffisant. Le seul endroit où Auster pouvait s’être réfugié si vite, c’était la galerie la plus proche. Baissant la tête, Fredrik se dirigea lentement vers son entrée. Il sentit Colryn, puis Lira, le suivre des yeux, leur inquiétude à son égard émoussant leurs autres émotions.

Un courant d’air froid le frappa à l’entrée de la galerie, le soulageant et rafraîchissant son front fiévreux, et il put enfin rompre le contact avec le couple.

Auster avait ouvert une fenêtre et se penchait dehors, silhouetté dans l’éclat de la neige brillant au clair de lune. Des rafales chargées de flocons montaient vers la fenêtre, assez fortes pour couvrir le bruit des pas de Fredrik, et apporter jusqu’à lui le rire d’Auster.

Fredrik, arrivant par-derrière, prit Auster par la taille et le soulagea de sa dague, qu’il jeta derrière lui sur les dalles où elle cliqueta bruyamment. Auster pivota en sursautant, portant la main à l’arme qu’il n’avait plus. Fredrik l’écrasa contre le rebord de la fenêtre, lui montrant le reflet de son propre couteau.

– Qui… ? commença Auster, mais il ne put continuer car Fredrik lui serrait la gorge à l’étrangler.

Auster rejeta la tête en arrière et cria :

– Rends-moi ma dague, et on se battra régulièrement, espèce de…

Fredrik resserra son emprise en grondant :

– Qu’est-ce qui te fait croire que tu mérites un combat régulier ? Tiens-toi tranquille, lâche, et tu ne sentiras rien.

Auster était cassé en deux à la renverse, les pieds décollés du sol, les épaules coincées dans la fenêtre. Il lança gauchement la main vers le couteau de Fredrik, mais Fredrik l’esquiva aisément et lui pointa sa lame sur la poitrine. Le bout de la dague s’enfonça entre les lacets de la tunique et les trancha jusqu’au bas.

– Fredrik, tu es devenu fou ? cria Colryn derrière lui.

Fredrik eut un bref éclat de rire, exultant à part lui :

S’il y a un fou ici, ce n’est pas moi !

Auster s’efforçait frénétiquement de se dégager, mais dans sa posture inconfortable, il ne pouvait pas faire grand-chose. Comme Auster émettait un sanglot étranglé, Fredrik lui lâcha la gorge et le saisit au collet. De nouveau, sa lame trancha l’étoffe au lieu de la chair, coupant le côté gauche de la chemise, qui se mit à pendre lamentablement. Puis, saisissant le bras d’Auster, Fredrik le sortit de la fenêtre et le plaqua sauvagement contre le mur.

– Fredrik, qu’as-tu fait ? dit Lira, la voix froide comme la neige. Auster n’a jamais provoqué une rixe !

– J’en suis sûr ! dit Fredrik avec calme.

Il referma la main sur le pan de la chemise, et ne fut pas surpris de voir Auster grimacer, malgré son hébétude. Retournant sa main, Fredrik regarda l’envers de l’étoffe. Une petite poche de soie y était cousue d’un mince fil métallique. Sans toucher la pochette, Fredrik trancha la rangée supérieure des points et rabattit le triangle de soie, révélant une petite gemme bleue, solidement attachée à l’étoffe par un fil de cuivre.

Auster se débattait convulsivement, tirant sur sa chemise et frappant le bras de Fredrik pour l’écarter. Puis, il plongea dans l’espace ainsi créé, sans se soucier d’avoir le dos à découvert. Avec un grognement de mépris, Fredrik rengaina sa dague.

Radan et un autre garde qui avaient suivi Colryn et Lira maîtrisèrent Auster après un bref combat. Le garçon avait l’air hébété et presque incapable de tenir debout, bien que les gardes n’aient pas été brutaux avec lui.

– Il a volé cela ? demanda Radan, tendant la main vers la gemme.

– Non ! crièrent en chœur Fredrik, Colryn et Lira, d’un ton qui figea Radan avant qu’il ne touche la matrice.

Dans le silence qui suivit, ils entendirent les dents d’Auster claquer bruyamment ; entre les mains des gardes, il fermait les yeux, l’air terrorisé.

– Recule, Radan, et ne touche pas le bijou, dit Colryn avec calme.

Montrant une porte, il ajouta.

– Emmène-le là-dedans et fais-le asseoir.

Lira et Fredrik apportèrent des lampes dans la pièce, et les gardes se retirèrent, se postant près des lourds rideaux.

Fredrik poussa un soupir de soulagement et remarqua :

– Personne ne mérite la mort pour une blague infantile.

Auster était assis, les bras posés sur la table devant lui, les doigts écartés. Il avait l’air prêt à bondir, pensa Fredrik. Auster murmura :

– Je croyais que tu voulais…

– Je n’ai été ta victime qu’un seul soir. Si tu veux implorer ton pardon, c’est à Colryn et Lira qu’il faut t’adresser, dit sèchement Fredrik.

– Je ne m’excuserai pas et je n’implorerai le pardon de personne, marmonna Auster. Je n’ai rien fait, que prévenir l’indécence régnant dans cette maison.

Il s’appuya de tout son poids sur ses bras, les yeux mi-clos, puis il les rouvrit vivement, en alerte. Une série de visages défilèrent dans l’esprit de Fredrik – chacun vu à travers les yeux d’Auster, où un sourire engageant se transformait en indifférence ou en dégoût. Auster sursauta, puis foudroya Fredrik. Sa pensée fulgura : Tu n’aurais jamais rien su, mais ils étaient si nombreuxj’étais si fatigué… L’image récurrente d’une main tapant contre le paravent des musiciens tremblota dans l’esprit de Fredrik, et il réalisa que c’était Auster qui avait demandé toutes ces rondes. Fredrik se retira avant que l’esprit épuisé d’Auster ne parvienne à se fermer.

Fredrik prit doucement une main de Lira, et, de l’autre, toucha celle de Colryn. Ils restèrent interdits. Ils se regardèrent, et leur émerveillement pénétra Fredrik ; c’était la première fois que leurs pensées étaient en contact sans intermédiaire, réalisa-tu. Impitoyable, Fredrik surimposa à leur joie naissante l’image d’Auster prenant sa matrice et le changement concomitant de leurs perceptions. Auster avait amplifié les défauts des gens par son action « anti-séduction », et sans doute étouffé toutes les émotions fortes qu’il trouvait indésirables.

Lira réagit la première, leur communiquant l’impression de ses propres soupçons, maintenant confirmes, et sur lesquels elle avait jusque-là refusé de s’attarder. Elle conclut : Je m’étais convaincue que tous les garçons en pleine croissance mangeaient autant que lui… En fait, il s’empiffrait pour renouveler l’énergie qu’il utilisait contre nous !

Colryn rompit brusquement le contact, et se tourna vers Auster, le visage dur.

– Tes sales manœuvres ont fait de ma femme une étrangère à mes yeux, et tu as failli détruire notre couple. Ce soir, tu as interféré dans la vie de nos invités… S’ils apprenaient ton crime, ils exigeraient que tes centres du laran soient détruits ! C’est ainsi que tu remercies ton seigneur, mon père, de t’avoir traité généreusement et de t’avoir donné assez de responsabilités pour te valoriser dans cette maison ? Seul ton âge te protège des pires châtiments…

Auster baissa la tête devant la colère de Colryn, et Fredrik vit la matrice cousue sur la chemise s’enflammer, puis s’éteindre.

Au milieu de sa phrase, Colryn adopta un ton plus raisonnable.

– … mais je suppose que tu es trop jeune et inexpérimenté pour comprendre les passions qui donnent de l’intérêt à la vie…

Lira et Fredrik se regardèrent, puis éclatèrent de rire. Colryn les regarda, fronçant les sourcils, puis eut un sourire penaud.

– Voilà qu’il vient de recommencer !

Devant le garçon sans défense aux yeux profondément cernés, Fredrik ne put retrouver sa sévérité antérieure.

– Pauvre garçon ! Il a eu tant à faire ce soir à la réception qu’il n’avait plus d’énergie pour se battre.

Lira sourit gravement à Colryn.

– Nous ne pourrons pas réparer les malentendus d’une demi-année en un jour, je le crains, mais nous pouvons toujours commencer.

Elle posa un regard grave sur Auster.

– Nous allons le laisser reposer et nous reparlerons de ses méfaits demain. Il doit être épuisé après s’être tant surmené. Je ne sais pas d’où vient sa matrice, mais je crois que nous devrions l’envoyer dans une Tour pour qu’il apprenne à s’en servir correctement – sans parler es responsabilités et de la conduite qu’elle impose.

Avec un sourire ironique à Colryn, Fredrik proposa :

– Je devrais l’accompagner, pour parfaire ma propre formation.

Colryn accepta.

– A l’évidence, son laran est puissant, et même Père devra convenir qu’avec une formation appropriée il sera plus utile dans une Tour que dans un emploi subalterne à Ardais.

Il ajouta, avec un sourire en coin :

– La Tour n’approuverait sans doute pas ses méthodes pour imposer la chasteté. Mais plus tard, s’il en a toujours envie, il pourra aller à Nevarsin pour pratiquer utilement son talent pervers.

L'Empire Débarque
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